L’équipe du CHRS se joint aux acteurs et actrices de la communauté historienne et partage ci-bas la lettre de l’IHAF concernant les licenciements récents chez les Sulpiciens envoyée il y a quelques jours à la ministre Roy. Publiée samedi dernier dans Le Devoir, cette lettre réitère l’urgence d’assurer la pérennité des archives de la Compagnie et ainsi procéder rapidement à leur classement. Plusieurs membres de notre équipe sont signataires. Vous pouvez ajouter votre nom à la lettre via le site HistoireEngagée.ca.
Madame Nathalie Roy
Ministre de la Culture et des CommunicationsMadame la Ministre,
Comme vous le savez déjà, dans un article du Devoir paru le 19 août 2020, Jean-François Nadeau annonçait le licenciement du personnel attaché à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice à Montréal. Nous déplorons ces odieuses mises à pied. En outre, nous nous demandons comment conserver et rendre accessibles des archives et des biens mobiliers et immobiliers sans personnel qualifié pour en prendre soin ? Que veulent en faire les Sulpiciens et leurs gestionnaires ? Face à ces questions préoccupantes qui concernent une part importante du patrimoine national, la communauté historienne, archiviste, muséale et littéraire a voulu réagir collectivement pour signifier l’importance qu’elle lui accorde.
Cette démarche et ces mises à pied brutales signifient la fin des projets de l’Univers culturel de Saint-Sulpice, une corporation fondée en 2006 pour « faire connaître et apprécier le rôle des Prêtres de Saint-Sulpice, tant au sein des seigneuries de l’Île de Montréal, du Lac-des-Deux-Montagnes et de Saint-Sulpice, que dans l’histoire religieuse, politique, économique, sociale et culturelle du pays depuis la fondation de Montréal (1642) jusqu’à maintenant ». Ces mots tirés du site internet de l’organisme résonnent amèrement aujourd’hui.
Les archives conservées par les Sulpiciens couvrent cinq siècles d’histoire. Anciens seigneurs de Montréal, ils ont participé à l’entreprise de colonisation française dès 1657. En plus de posséder et de concéder des terres, ils ont tracé le premier plan de la ville. Par ailleurs, ils ont contribué activement au développement éducatif et culturel de Montréal et du Québec, notamment à travers leurs responsabilités paroissiales et la formation des prêtres, tout en soutenant les communautés religieuses impliquées dans les domaines de la santé et des services sociaux. Les archives de la Compagnie sont également une porte d’accès à l’histoire autochtone puisqu’ils ont eu la charge de nombreuses missions au fil des siècles, arpenté le territoire de la Nouvelle-France et rédigé différents dictionnaires en langues autochtones, précieusement conservés dans les archives depuis le début de la colonie. L’histoire des Sulpiciens témoigne d’une contribution à la société québécoise qui dépasse de loin la seule sphère spirituelle.
L’importance à la fois quantitative et qualitative de ces champs d’intervention explique le grand nombre de chercheurs et de chercheuses qui ont fréquenté et fréquentent encore leurs archives, leur bibliothèque et leurs collections. Elle justifie aussi leur rapide réaction devant l’annonce du licenciement du personnel concerné. Pour les chercheurs et chercheuses, et surtout pour l’ensemble des citoyens et citoyennes, comment pourrait-on se priver d’un « kilomètre de documents textuels, de 75 000 pièces iconographiques, de plus de 8 000 cartes géographiques et devis techniques, ainsi que d’enregistrements sonores et filmiques » ? Pour tous les signataires de cette lettre, il ne fait aucun doute que les archives de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice forment un patrimoine d’importance nationale pour le Québec.
La partie immobilière (Le Vieux séminaire de Saint-Sulpice et le site patrimonial du Vieux-Séminaire-de-Saint-Sulpice) est d’ailleurs classée depuis 1985. Selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, ces biens immobiliers « présentent un intérêt pour [leur] valeur historique reposant sur [leur ancienneté] » et « au rôle joué par les Messieurs de Saint-Sulpice dans la société montréalaise ».
L’ensemble de ce patrimoine, tant immobilier, mobilier qu’archivistique, dont les Sulpiciens sont les fiduciaires, possède une rare valeur non seulement sur le plan matériel, mais aussi et surtout sur les plans culturel et mémoriel pour notre société. Il témoigne de la permanence de notre histoire et de la pertinence de notre passé commun.
Bien qu’inédite par sa portée, la situation actuelle n’est pas nouvelle ni exclusive. Déjà en 2005, l’Institut d’histoire de l’Amérique française avait exprimé ses préoccupations devant la Commission de la culture lors de la Consultation générale sur le patrimoine religieux du Québec. À la vitesse où les communautés religieuses québécoises ferment leurs maisons, un plan national d’intervention s’impose. Il devrait reconnaître la valeur patrimoniale des archives religieuses, inclure l’ensemble des acteurs concernés – dont Bibliothèque et Archives nationales du Québec – et prévoir un financement pérenne et suffisant pour assurer leur conservation et mise en valeur.
Dans le cas des Sulpiciens, devant les risques concrets de dispersion de la collection, voire de sa destruction, nous vous demandons, madame la Ministre, de procéder rapidement au classement que vous avez annoncé des archives de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice. Les livres anciens et les œuvres d’art devraient également être partie intégrante de cette démarche. Il importe de faire preuve de diligence et de tout mettre en œuvre pour garantir la protection de ce fonds d’une valeur collective inestimable.
Brigitte Caulier, Université Laval, présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, Karine Hébert, UQAR, vice-présidente de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, Martin Pâquet, Université Laval, ancien président de l’Institut d’histore de l’Amérique française et Sophie Imbeault, historienne et éditrice