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Comment les sociétés «tiennent»-elles ensemble? Comment assurent-elles leur pérennité tout en se transformant? Comment concilier cette logique de l’harmonie minimale qui fait que les formations sociales n’éclatent pas en une constellation d’individualités, avec la réalité du conflit au cœur de leur quotidien? Comment faire sens de l’existence d’une forme donnée de cohésion sociale et de l’inéluctabilité de sa dissolution à terme? C’est à ces questions que les travaux des chercheurs et chercheuses du Centre d’histoire des régulations sociales tentent d’apporter réponse.

Leur questionnement postule qu’il existe des modes de régulation sociale par lesquels les hommes et les femmes en société apprennent à organiser l’espace, à affronter le temps, à transposer leurs efforts en régularités formelles, toujours menacées, toujours poursuivies, constamment vécues. Il n’est évidemment pas question ici de nier l’apport fondamental de l’individu, seul ou en collectif, dont l’action détermine les formes de cette régulation. De la même façon, il faut réaffirmer la réalité des rapports de classes et de genres, comme modes fondamentaux de segmentation du social, de même que l’impact essentiel des rapports de pouvoir et d’hégémonie dans la construction de ces régularités. En tenant compte de toutes ces réalités fondamentales qui font du social un champ de lutte constante, il s’agit d’inventer une façon à la fois souple et heuristique d’appréhender le passage fragile des formations sociales dans le temps. Entre la mise à plat des structures sociales et la mise au jour des mille formes par lesquelles les acteurs conçoivent et agissent leur vie, nous voulons comprendre comment opère la cristallisation institutionnelle, autrement dit la logique régulatoire qui fait que l’action se produit toujours dans un cadre (normatif, institutionnel, conventionnel) tout en le transformant.

Le concept de régulation sociale est en fait au carrefour des approches en termes de contrôle social, de stratégie des acteurs, d’institutionnalisation des problèmes sociaux et de gestion du risque, de la déviance et de l’exclusion, de l’innovation sociale enfin. Il met sur un même pied, en tant que composantes essentielles et incontournables de la régulation, les politiques et instances, les institutions et les associations, les oeuvres et les services, les expertises et les savoirs dont la mission et le champ d’intervention se veulent une réponse aux risques et facteurs d’instabilité sociaux sous quelque forme qu’ils apparaissent (maladie, pauvreté, accident, crime, marginalisation, violence, conflits, etc.). En cela, il permet d’asseoir sur des constats historiques et des tendances sociétales fondamentales les orientations et les expériences actuelles de circonscription et de mobilisation concertée des ressources sociales dans les domaines socio-sanitaire, judiciaire, économique (économie sociale), scientifique et autres.

Les chercheurs et chercheuses du CHRS mettent prioritairement en valeur la dimension historique du concept de régulation sociale, soit une manière de penser le passage du temps et ses effets sur la trame du réel. Ils et elles veulent en saisir les règles à l’aune de ceux et celles qui les façonnent, les élaborent, les administrent, en bénéficient, autant que de ceux et celles qui les enfreignent, les subissent, les contestent ou les contournent. Nous voulons analyser les conventions et les normes dans les termes de ceux qui les mettent en tension ou les rendent obsolètes autant que de ceux qui y inscrivent leur action, en somme prendre la mesure des institutions autant dans les termes de ceux qui les contestent que de ceux qui les font vivre. Ce que l’on appelle «régulation» n’est pas un état, i.e. la description passive d’une structure ou des clivages d’une société donnée. Ce n’est pas non plus un rapport, i.e. le constat d’un lien entre des éléments, individus ou groupes. Les régulations sociales sont plutôt processus en acte ou en action, une logique du mouvement qui entraîne une société d’un point à l’autre du temps.

Pour ce faire, l’équipe du CHRS a privilégié certains points d’entrée permettant d’analyser ce processus dialectique de structuration et de changement social. Plusieurs thématiques de recherche ont en conséquence été exploitées, parmi lesquelles on peut compter :

  • L’État
  • Le droit et la culture juridique
  • Les institutions de régulation sociale (prisons, asiles, hospices, orphelinats, tribunaux, associations diverses))
  • Les marginalités (criminels, vagabonds, exclus)
  • Les catégories sociales (enfants, vieillards, handicapés)
  • Les problèmes sociaux (pauvreté, maladie, crime)
  • Les risques sociaux et les stratégies de prévention et de gestion de ces risques (mutualité, assurance, hygiène)
  • Les groupes générationnels (jeunesse, classes d’âge, vieillesse)

Dans ce cadre large d’analyse, le CHRS a développé une activité intense tant en matière de recherche que de formation. Ses réalisations et ses ressources témoignent de la vitalité de l’équipe comme de sa capacité de développer et d’entretenir un réseau efficient d’échanges avec des équipes et des centres de recherche intéressés à des thématiques voisines ou complémentaires.