Discussion avec Catherine Larochelle dans le cadre du lancement de son livre L’école du racisme

Catherine Larochelle est membre du comité éditorial de la revue Histoire engagée, professeure au département d’histoire de l’UdeM et membre du CHRS. Ses recherches portent sur la façon dont l’impérialisme, le colonialisme, le racisme et l’orientalisme imprègnent les discours, les idéologies et les pratiques culturelles produits et diffusés au Québec aux 19e et 20e siècles. Ses intérêts de recherche recoupent l’histoire de l’enfance et de la jeunesse, l’histoire des représentations et l’histoire du mouvement missionnaire canadien-français. Elle accorde une grande importance à l’imbrication de son travail scientifique et intellectuel et de son engagement social et médiatique.

Le 1er septembre dernier avait lieu le lancement de son livre L’école du racisme : La construction de l’altérité à l’école québécoise (1830-1915), qui a remporté le prix Clio-Québec 2022 de la Société historique du Canada. Pour l’occasion, elle s’est entretenue avec Webster, rappeur et historien spécialiste de l’histoire de la présence afrodescendante et de l’esclavage au Québec et au Canada depuis la Nouvelle-France. L’événement était animé par Brintha Koneshachanda.

Lancement de L'école du racisme de Catherine Larochelle

Catherine Larochelle (CL) : Ce livre est issu d’une thèse de doctorat, que j’avais entamée avec la question suivante : quelles images de l’Autre, produites par quelles idéologies, ont été transmises par l’école québécoise? J’ai voulu savoir comment cette dernière avait construit des figures d’altérité, quelles étaient ces figures et quel rôle elles avaient joué dans la construction identitaire des élèves québécois à la fois francophones et anglophones. La recherche que j’ai menée s’échelonne sur un long 19e siècle, donc des années 1830 à 1910.

L’école construit la communauté d’appartenance. Elle apprend aux élèves les contours de leur nation, de leur patrie. Elle leur apprend à distinguer cette patrie, qu’elle positionne par le fait même dans une communauté plus large, une grande famille d’où on exclut des Autres. Évidemment, ce n’est jamais expliqué aux enfants dans ces termes. L’altérité est construite par l’institution scolaire de mille et une façons. C’est ce que j’ai cherché à décoder et à comprendre.

Cette histoire n’est pas purement québécoise. J’ai étudié le contexte québécois, mais c’est avant tout une histoire transnationale, occidentale. J’ai trouvé énormément d’emprunts et de circulation de ces représentations, de ces discours, de ce racisme. Il y a évidemment des particularités québécoises, mais c’est une histoire qui dépasse les frontières de la province.

On peut dire que grâce à l’école, les enfants acquéraient un sentiment d’autorité sur les autres. L’école participait à la création d’une vision du monde hiérarchique, infusée de pensée raciste. Je crois que l’une des contributions de cette recherche est de comprendre comment la représentation de l’altérité a produit la blanchité. Les figures d’altérité n’existent pas en soi, elles sont fabriquées par le Blanc pour que celui-ci puisse se penser comme blanc. En raison de la quasi-absence des femmes dans ces représentations, j’ai constaté qu’il s’agissait aussi d’une profonde réflexion sur la masculinité. Les différentes figures de l’Autre sont en général des modèles de virilité, voire d’hypervirilité, qui alimentent la définition de la masculinité blanche.

Je terminerai en empruntant les mots d’un poète, qui offrent un bel écho à la recherche que j’ai menée. Ce sont les mots de Rodney Saint-Éloi dans le livre Les racistes n’ont jamais vu la mer. Il écrit :

« Les racistes n’ont jamais vu la mer. Ils oublient trop souvent l’histoire qui nous a à la fois maudits et guéris. L’histoire qui a fait comprendre à l’esclave que le maître ou le bourreau, s’il tend à affirmer de manière si évidente sa suprématie, c’est qu’il vit une fragilité pire que la condition de l’esclave. La fragilité blanche est justement ce refus de l’histoire noire, la fragilité blanche est justement la barbarie du projet colonial. Une histoire impossible à assumer. Comment se raconter le rapt, la dépossession, l’horreur de l’homme blanc. L’homme blanc doit se raconter un jour cette histoire. Rien que pour arriver au pardon de soi. Pour s’émanciper. Pour être face à sa vérité. Pour sortir de la folie du barbare blanc. […]

Tout ce qui existe et qui fixe l’horizon du futur demeure l’humain en nous.
Ensemble, soyons humains
Ensemble, regardons la mer
De l’autre côté de la rive, c’est encore nous
Dans d’autres corps, d’autres destins, d’autres visions
C’est encore nous, qui rêvons d’habiter
Humblement
Férocement
Tendrement
La même terre. »

Webster (W) : L’école du racisme m’a beaucoup intéressé parce que, depuis quelques années, je donne des conférences sur les racines du racisme systémique. Je me suis beaucoup intéressé à l’esclavage ici depuis 1629, avec l’arrivée d’Olivier Le Jeune, jusqu’au début des années 1800 avec l’esclavage à Québec, à Montréal. Quels sont les impacts ou les vestiges de cette pratique? Parce que l’esclavage, il n’y en a pas eu beaucoup : on parle de 4185 personnes asservies dans notre histoire de 1629 à 1800, dont les deux tiers étaient des Autochtones et le tiers était afrodescendant ou africain. Toutefois, ça prend un cadre, ça prend une mentalité pour permettre l’esclavage, pour permettre de déshumaniser les gens. Le faible nombre d’esclaves au Québec s’explique avant tout par une question pratique, climatique : il faisait tout simplement trop froid pour avoir une économie agraire avec de grandes plantations de coton, de canne à sucre, etc.

Je donne beaucoup de conférences à propos de cette question. Un moment donné, on m’a demandé des conférences sur ce qui se passe ensuite, aux 19e et 20e siècles. La présence d’exclusion, la ségrégation. On a enlevé ce mot-là de notre vocabulaire, mais la ségrégation a existé ici. Je pense à Marian Anderson, la grande chanteuse noire américaine invitée au Château Frontenac en 1932, mais qu’on refuse de loger puisqu’elle est noire. On a eu des lieux au Québec où on empêchait les Noir·e·s d’entrer, où les Noir·e·s étaient confinés au balcon, qu’on appelait « la cage à singes ». 

Ce n’était pas enchâssé dans la loi, comme les lois Jim Crow aux États-Unis, mais c’étaient des « pratiques Jim Crow », des pratiques au cas par cas. C’est ce qui a rendu le mouvement des droits civiques ici plus difficile qu’aux États-Unis, parce qu’aux États-Unis, il y avait des lois contre lesquelles se battre, une poignée juridique qu’on pouvait tirer. Ici, techniquement, depuis l’abolition de l’esclavage en 1834, toute personne est égale devant la loi, alors c’est plus difficile de pointer du doigt des pratiques racistes. Il y a eu à travers tout le 20e siècle des gens qui se sont battus devant les tribunaux pour contrer les pratiques racistes et ségrégationnistes. Je pense à Fred Johnson contre l’Académie de musique en 1898, à Reynolds contre le théâtre Loew’s en 1919, à Fred Christie contre la taverne York en 1936. Mais chaque fois, on prétexte le droit de commerce : on dit que les propriétaires peuvent faire ce qu’ils veulent, que c’est dans leur droit en tant que commerçants de refuser de servir une personne noire. C’est dans la deuxième partie du 20e siècle qu’on met en place la charte des droits et libertés et qu’on développe une vision différente du droit des propriétaires face aux droits humains.

Quand je donne ces conférences sur les vestiges de l’esclavage, j’approche la question de la construction de l’altérité à travers, notamment, deux choses : les caricatures racistes et le blackface. Je n’avais même pas pensé à l’école, que cette construction raciste se faisait à l’école, que cette suprématie blanche s’enseignait à l’école. Pour moi, L’école du racisme était œuvre utile : le livre complétait ce que je faisais par rapport à cette construction de l’altérité, mais à travers l’élément culturel. C’est une œuvre extrêmement importante, qui sort du cadre de l’afroquébécité sur lequel je me suis beaucoup concentré, pour traiter aussi du rapport aux Autochtones, à l’orientalisme. 

J’amorcerais la discussion avec Catherine avec la question de la périodisation. Pourquoi cette période?

CL : Le 19e siècle est une période importante pour trois phénomènes, tous imbriqués : le colonialisme, l’éducation et le nationalisme. Il y a un renouveau du colonialisme au 19e siècle, une nouvelle vague très puissante. Ce mouvement a besoin de l’école pour légitimer son projet Il a aussi besoin de l’école pour annihiler la présence autochtone. C’est ce qu’on appelle la mission civilisatrice. Donc, l’école est imbriquée avec le colonialisme de plus d’une façon. Il n’est pas anodin de constater que l’instruction publique se développe dans plusieurs pays au même moment où l’on observe une recrudescence de la pensée raciste, ou du moins une poussée de sa diffusion populaire. J’ai été étonnée de voir que les historien·ne·s de la pensée raciste ne l’avaient pas liée à l’émergence d’une école publique qui se démocratise. Pour moi, c’est une des choses qui permettent à cette pensée d’exploser, notamment en termes culturels, ce qui se traduit par des violences réelles. L’école est une courroie de transmission de cela. Et finalement, la montée des nationalismes au 19e siècle s’appuie aussi sur l’école pour créer une identité qui n’existe pas entre des groupes très hétérogènes, qui sont sur un territoire souvent étendu, sans liens réels entre eux. L’école va servir à construire cette identité homogène, ce sentiment patriotique.

À travers tout ça, il y a les expositions universelles, il y a ce qu’on appelait les zoos humains, l’anthropologie, les récits de voyage… Tous ces phénomènes du 19e siècle sont remplis de représentations de l’altérité. Les théories scientifiques qui définissent les races comme une connaissance vraie, comme une science, sont aussi discutées, se multiplient. Tout ça rend cette période importante à étudier.

W : Je vois un croisement entre ce que tu décris et les caricatures racistes. C’est exactement cette époque-là. J’ai commencé à éplucher les caricatures dans un journal montréalais qui s’appelait Le Samedi, fondé en 1889 et publié jusque dans les années 1960. J’ai commencé en 1889, je suis rendu en 1907. Dans ce laps de 18 ans, je suis rendu à environ 600 caricatures négrophobes – sans compter le racisme envers les Juifs, les Autochtones, les Asiatiques… Ces caricatures montrent comment cette construction de l’Autre peut se faire à travers l’image, à travers des choses qui paraissent ludiques. Ça se joue sur deux éléments : la physionomie et la moralité.

D’un point de vue physionomique, on va se moquer des lèvres, des cheveux, de la couleur de la peau. L’africanité est toujours associée à la saleté aussi. D’un point de vue moral, les Noirs sont perçus comme des voleurs, des tricheurs, des menteurs, des gens idiots, stupides. Et les Africains sont toujours considérés comme des cannibales – ce que Catherine note aussi dans son livre.

Un autre élément important, c’est que le blackface avait lieu ici aussi. Chaque fois qu’il y a une controverse sur le sujet, on dit : « Non, c’est une dynamique américaine, ce sont les États-Unis. » Eh bien, ça avait lieu ici aussi. La plus vieille annonce de blackface que j’ai pu retracer date de 1843, à Québec. C’est tellement un phénomène nouveau qu’on y explique ce que c’est. Sur scène, ils vont perpétuer des stéréotypes racistes : le Noir idiot, superstitieux, maladroit, voleur, violent. Ce sont des éléments qui, pour moi, contribuent avec l’école à ancrer ces pensées racistes dans la tête des gens.

CL : Ces caricatures sont intéressantes. Elles montrent la circulation d’idées entre différents médias qui s’alimentent mutuellement. Les manuels scolaires sont faits par des adultes, qui ont consommé ces médias et ces caricatures. Tout ça s’alimente. Et ce que je remarque en regardant ces caricatures, c’est comment l’école lisse bien les choses. On ne retrouve pas ce genre d’image dans le contenu scolaire, ce qui fait que la transmission du racisme passe un peu plus inaperçue, il faut lire entre les lignes, voir l’accumulation de stéréotypes qui forment ces représentations. 

La transnationalité, c’est quelque chose que j’avais plus ou moins prévu et qui m’a frappée. Elle se présentait de plusieurs façons. Des fois, c’étaient des passages de manuels scolaires traduits au Québec par des congrégations religieuses qui, en fait, étaient des emprunts mot pour mot à des manuels américains. Ceci dit, c’était par exemple seulement la section sur l’Afrique qui était empruntée aux manuels américains. Les Frères des écoles chrétiennes, par exemple, reprennent textuellement toute la section sur l’Afrique d’un manuel américain, donc les représentations transmises aux élèves américains sont également transmises aux élèves canadiens.

Ensuite, ça passe beaucoup par les images, qui circulent de façon tout à fait libre à travers les différents milieux – au niveau transnational, entre les empires britannique et français, et au niveau local, entre les communautés francophone, anglophone, catholique, protestante. Je pense entre autres à un manuel scolaire ontarien anglophone ayant utilisé une image représentant des peuples d’une île du Pacifique, dont j’ai retrouvé l’origine dans un récit de voyage d’un explorateur français du début du 19e siècle. Le manuel en question dit s’être servi dans une gazette écossaise pour les images. Donc, cette image circule énormément.

Malgré que ce soit une histoire transnationale, la représentation des populations autochtones est excessivement liée à l’histoire locale et, en ce sens, le Québec participe aussi à la production du racisme occidental. Ce ne sont pas seulement des représentations reçues et rediffusées. Il y a une production locale qui alimente d’autres systèmes d’éducation, par exemple par la présence du Québec aux expositions universelles. En 1893 à Chicago, le Québec présente des travaux scolaires faits par les élèves blancs du Québec. Les enfants ne sont pas présents, mais leurs cahiers de devoirs et les broderies des jeunes filles sont exposés. À l’étage au-dessous, de jeunes enfants métis sont « exposés » avec des Sœurs grises qui leur font la classe pour montrer le projet civilisateur canadien. Ce décalage entre la mise en valeur des productions intellectuelles des élèves blancs et l’exhibition des corps des enfants autochtones m’a frappée. Et tout ça dans un contexte transnational et international. Cette exposition, ce sont toutes les nations qui exhibent non seulement leurs prouesses technologiques ou scientifiques, mais également leur violence coloniale.

W : J’étais content de lire ça parce que la transnationalité est un élément important de l’histoire noire nord-américaine. On voit souvent les histoires nationales un peu en silo, mais la frontière était très poreuse en matière d’africanité, que ce soient les gens ou les idées. On parle souvent des esclaves américains qui se sauvent pour venir ici, mais on parle rarement des esclaves canadiens qui fuient vers les États-Unis. Quand le Vermont abolit l’esclavage en 1777, des esclaves d’ici essaient de s’y rendre. Il y a aussi l’Underground Railroad, le chemin de fer clandestin : un réseau d’entraide, de passeurs·euses qui aidaient les personnes asservies des États-Unis à venir se réfugier au Canada.

Il y a cette transnationalité des corps, mais du racisme aussi. Ces idées racistes vont voyager d’un bord et de l’autre. Les caricatures qu’on a vues, c’étaient souvent des caricatures achetées à des caricaturistes américains. On y retrouve donc parfois des éléments illustrant des personnes noires qu’on n’est pas habitué de voir dans notre cadre nordique urbain – par exemple, des caricatures en milieu rural avec des noms et des tropes qu’on retrouve dans le sud des États-Unis. Cette idée de transnationalité est très importante pour comprendre l’expérience afro-canadienne et afro-québécoise.

CL : Je veux rebondir là-dessus. Ça met en lumière une énigme qui m’a hantée pendant tout mon projet. C’est un manuel produit par le gouvernement du Québec en 1900, qui s’adresse aux élèves de 1ère et 2e année du primaire et qui couvre tout : lire, écrire, compter… Dans ce manuel, il y a une leçon pour apprendre à compter de 0 à 9, donc une leçon importante dans l’économie du manuel. Dans cette image, on voit un jeune garçon noir et des melons d’eau, et on apprend à compter avec les melons d’eau sur l’image. D’ailleurs, le mot en N est utilisé. Ce manuel, commandité par le gouvernement du Québec, a été utilisé par des millions d’enfants canadiens-français. Il n’y a aucune mention des populations noires dans tout le manuel, qui est très nationaliste. Donc, je me dis : « Pourquoi ce ne sont pas des écureuils, des castors? Pourquoi on apprend à compter avec ces melons d’eau? » Et finalement, c’est en lisant un livre sur les représentations des populations noires dans la culture occidentale que j’ai trouvé la réponse, qui montre justement cette circulation des caricatures et de cette culture raciste. L’idée vient d’une comptine où on apprenait aux enfants à compter en éliminant des enfants noirs. Ce n’est pas ce qu’on voit directement dans le manuel, mais c’est de là que venait l’idée d’apprendre à compter avec la figure de l’enfant noir. Et le stéréotype des melons d’eau, c’est un stéréotype américain. Ça montre comment cette culture-là était ici, ce n’est pas une culture d’ailleurs. La transnationalité permet de voir la porosité de tout ça.

W : J’aimerais aborder la construction de la race, qui est un phénomène nouveau dans l’histoire de l’humanité, ce qui est particulier. On s’imagine que ça a toujours été comme ça mais, finalement, ça ne date que du 18e siècle. Dans ton livre, tu ressors une description qu’on trouve dans la Nouvelle géographie illustrée des Frères des écoles chrétiennes, qui date de 1875.

L’un des premiers à théoriser la race est Carl von Linné, un botaniste suédois qui publie un livre en 1735, Des systèmes de la nature. C’est l’un des premiers à diviser les humains en quatre races : l’Américain, qui est l’Autochtone d’ici; l’Asiatique; l’Européen; et l’Africain. Il leur donne des traits physiques, mais aussi intellectuels : l’Américain est mené par ses usages, l’Asiatique est mené par son opinion, l’Européen est mené par les lois, et l’Africain est gouverné par la volonté arbitraire de ses maîtres. On retrouve la même chose entre Carl von Linné en 1735 et le manuel des Frères des écoles chrétiennes en 1875 : le Noir se laisse dominer et gouverner par ses maîtres.

J’aimerais partir de là pour parler de cette construction de la notion de race.

CL : D’abord, le premier constat, c’est que c’est une notion enseignée, et très tôt. En 3e année du primaire, les enfants doivent connaître les races humaines et les différents types de gouvernement. C’est une notion de géographie politique qui vient avant l’histoire nationale, donc c’est vraiment une connaissance de base. 

Ensuite, il y a une incohérence totale entre les différents systèmes appris aux enfants d’une année à l’autre, d’un manuel à l’autre : il y  a trois races, cinq races, parfois ce sont les cheveux seulement – crépus ou non crépus –, parfois ce sont les familles linguistiques. Toutes ces théories scientifiques sont chapeautées par la croyance chrétienne que tous les humains viennent d’Adam et Ève. Donc, c’est d’emblée absolument incohérent, illogique.

Ce qui est important, c’est comment, à travers les descriptions des différents pays et populations, la race vient de mille et une façons s’imbriquer dans les descriptions. On va parler de l’esclavage en Afrique en blâmant les Arabes et en passant sous silence l’implication européenne. Ce sera plus imbriqué encore au début du 20e siècle : l’adéquation entre le physique et l’intelligence devient écrite noir sur blanc de façon expéditive, alors qu’elle n’existe pas nécessairement en 1850.

Je pense que ce que m’a appris tout ce corpus scolaire, c’est que la notion de race est excessivement importante dans la construction de notre imaginaire national. Et les caricatures récentes que tu as montrées nous font voir qu’au final, on a peu d’imagination. Mais ça démontre la prégnance de ce mode de pensée dans l’imaginaire québécois et canadien. Ça ne touche pas juste le rapport aux populations autochtones ou les représentations des populations arabes : ces différentes figures sont interreliées à travers la notion de race, s’alimentent, deviennent des objets de comparaison pour que l’élève qui est en train d’apprendre cette vision du monde puisse hiérarchiser dans sa tête. Pour reconnaître l’Autre, il faut l’apprendre. Cet apprentissage est fait à travers toutes sortes d’exercices. Ce sont les théories scientifiques qui sont vulgarisées et qui n’ont pas à être prouvées par le système scolaire, qui sont présentées comme des faits, comme des connaissances vraies.

Pour en savoir plus sur Catherine Larochelle, son parcours académique et ses projets, vous pouvez consulter cette entrevue qu’elle nous a accordée en juin 2021. https://chrs.uqam.ca/index.php/2021/06/10/grand-entretien-avec-catherine-larochelle/

Texte de Kathleen Villeneuve, étudiante à la maîtrise en histoire (Université de Montréal)

Référence mentionnée
Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, Les racistes n’ont jamais vu la mer, Montréal: Mémoire d’encrier, 2021, p. 285-286.